Monsieur le Ministre,
L’union des syndicats CGT Intérieur a pris connaissance avec consternation et indignation de votre feuille de route. Vos instructions aux préfets indiquent très clairement vos priorités. Ce ne sont pas les nôtres !
Concernant la lutte contre l’immigration légale ou illégale, notre organisation souhaite vous rappeler que notre pays est la patrie des Droits Humains et, de longue date, une terre d’immigration et de passage de populations. Les agent.es des préfectures mais aussi de l’OFPRA, de l’OFII et de la CNDA, connaissent bien les problématiques de l’immigration parce qu’elles et ils travaillent au quotidien avec des étrangers qui souhaitent vivre et travailler en France après avoir surmonté d’innombrables difficultés et des situations terribles, inhumaines, pour arriver jusqu’à nous. Vous avez dit que notre Ministère devait être aussi le Ministère des victimes. C’est bien le cas, Monsieur le Ministre, puisque nous accueillons dans nos administrations les victimes des guerres, les victimes des changements climatiques, les victimes de régimes politiques autoritaires, les victimes du libéralisme. Et c’est bien à l’État français de les protéger et de les accueillir dignement, et non de leur fermer sa porte.
Dans les services du Ministère de l’Intérieur, les agent.es subissent depuis des années les réorganisations imposées : RGPP, PPNG, SGCD, ATE. Ces acronymes, tout comme la démétropolisation, signifient pour eux moins de personnels pour moins de services publics. Des missions laissées de plus en plus au secteur privé, à travers des Agences avec pour conséquence la dégradation du service rendu aux usager.es. Nos collègues perdent le sens de leur travail. La diminution lente mais constante du nombre de fonctionnaires dans notre administration, conduit à augmenter la charge de travail pour celles et ceux restants en poste.Le cumul d’heures de travail supplémentaires écrêtées (du travail gratuit pour ne pas dire dissimulé), et le mal-être au travail voire le burn-out sont grandissants.
De plus, après plus d’une décennie de gel de la valeur du point d’indice, et l’inflation que nous avons subie, les pertes de « pouvoir d’achat » des agent.es, fonctionnaires et non titulaires, sont conséquentes.
De la même manière, le plan d’austérité initié cette année avec ses gels et restrictions budgétaires a fortement impacté nos structures tant dans leur fonctionnement (limiter les déplacements, réviser la programmation des investissements immobiliers, reporter des opérations qui auraient dû démarrer) que dans la gestion du personnel (moins de recrutement de contractuel.les que les besoins réels, décalage de toutes les dates de recrutement sur les postes de titulaires…). Les conditions de travail des agent.es se sont détériorées suite à ces restrictions budgétaires. Les contrats de nombreux contractuel.les n’ont pas été renouvelés, rendant encore plus intenable le manque de personnels dans les services. Ces restrictions mettent encore plus à mal le service public rendu aux usagers et aux collectivités et entraînent de la souffrance au travail, individuelle et collective.
Ainsi, à la CGT Intérieur, nous portons plusieurs revendications dont les principales sont : l’arrêt des réorganisations qui démantèlent le service public ; l’ouverture de concours pour recruter les centaines de fonctionnaires dont l’État a besoin pour assurer pleinement ses missions ; l’augmentation du point d’indice à 6 € brut, son indexation sur l’inflation, la reconstruction des grilles indiciaires, ; l’égalité salariale et professionnelle entre les femmes et les hommes ; la titularisation des contractuel.les ; la fin des heures écrêtées ; le retour des CHSCT…
Pour la CGT, c’est par l’intervention publique, la reconquête et le développement des services publics que, de manière égalitaire et sur l’ensemble du territoire, y compris en Outre-mer, les droits et besoins fondamentaux des populations doivent être satisfaits. Pour cela notre Ministère a un rôle essentiel à jouer, non de repli sur soi, mais de développement de sa présence, notamment par la réouverture des accueils au public, accueils tenus par des personnels titulaires et formés. Outre le détricotage de l’État social, la société française est confrontée à un affaissement des activités et des emplois industriels. Dans le même temps, elle est frappée par une crise écologique. Les dégâts générés par de telles évolutions sont d’ores et déjà considérables et engendrent des fracturations toujours plus grandes de la société avec l’augmentation de la pauvreté, de la précarité sous toutes ses formes, de l’insécurité sociale, du chômage, de la surexploitation des ressources de la planète. Dans un tel contexte, les services publics et plus particulièrement la fonction publique doivent contribuer à un processus de sortie, de libération et d’émancipation de l’humanité d’un système capitaliste productiviste et consumériste.
Au nom de la régionalisation et de la territorialisation, les gouvernements successifs n’ont eu de cesse de remettre en cause les politiques publiques nationales comme l’organisation nationale qui en découle à partir des ministères concernés.
Tous les domaines sont concernés, des Finances publiques à l’Éducation nationale, en passant entre autres par la gestion des routes, les agences de santé ou l’inspection du travail, et avec à la clé le transfert des personnels sous la gestion des préfets et des droits différents tant pour les personnels que les usager∙es selon les régions et territoires. Le discours du Président de la République aux préfets, prononcé le 12 mars 2024, indiquait clairement la volonté de l’État d’aller plus loin dans le développement de l’Administration territoriale de l’État et la main-mise des préfets sur les directions interministérielles et l’ensemble des personnels, mais aussi la généralisation des dérogations aux réglementations. Nous avons retrouvé dans votre discours les mêmes directives aux préfets.
Pourtant, parce qu’il n’y a pas de développement économique sans développement des services publics, l’État doit se donner les moyens de faire mettre en œuvre ses politiques publiques par les directions et les ministères concernés eux-mêmes. Aussi, nous demandons la reconstruction d’administrations et de ministères dotés de réseaux déconcentrés de proximité et de plein exercice des missions, et de chaînes de commandement, des niveaux centraux aux niveaux déconcentrés qui seules permettent d’assurer l’égalité des territoires.
La CGT Intérieur défend un projet de société de progrès et de justice sociale où le Ministère de l’intérieur jouerait pleinement son rôle pour la protection des populations les plus fragiles, pour la garantie des libertés publiques et des droits qui en découlent dont l’égalité entre tous et toutes et la fraternité.
Veuillez agréer, Monsieur le ministre, l’expression de nos salutations républicaines.
Pour l’Union des syndicats CGT Intérieur
Karine TARTAS, secrétaire générale adjointe