Avant tout, la CGT Intérieur apporte son soutien à ce collègue qui a été placé en hospitalisation sous contrainte et a subi une épreuve particulièrement douloureuse. Il faut savoir qu’il avait déposé plainte deux mois auparavant contre son supérieur hiérarchique pour harcèlement moral. Le juge des libertés a estimé que l’arrêté préfectoral était infondé et a fait procéder à la remise en liberté du fonctionnaire.
Soyons toutes et tous préoccupé-e-s par le fait que si un agent de l’État en vient à faire preuve d’ « insubordination » parce qu’il a osé porté plainte pour harcèlement moral contre son employeur public, alors il peut être hospitalisé d’office.
Ne nous y trompons pas : la décision d’internement d’office constitue un moyen simple, un message puissant adressé aux agents qui seraient tentés de critiquer en interne un système qui est devenu lui-même pervers. Voir qu’en 2019, en France, pays des droits de l’Homme (?), un préfet fait placer en hôpital psychiatrique un fonctionnaire exprimant un désaccord, c’est comprendre que l’État ne veut pas d’une remise en cause des rouages de la machine ultra-libérale. C’est bien un message de peur et de crainte qui est envoyé à l’ensemble des fonctionnaires avant la mise en œuvre d’une réforme du service public qui s’avérera encore plus dévastatrice. Pourtant, il existe un territoire où un agent dispose de sa liberté d’expression : le syndicat. Au vu des nombreuses expressions clientélistes et corporatistes des syndicats, la CGT, qui répugne à ces pratiques, est le syndicat qui accueillera l’ensemble des collègues ayant besoin et envie d’exprimer leur désarroi afin de préserver leur dignité.
La CGT intérieur est de plus en plus témoin de critiques d’agents exerçant dans les services de l’État. Ici, cet agent avait dénoncé la dégradation des conditions d’accueil des étrangers à la préfecture. C’est donc la dégradation de l’accueil du public et la politique migratoire en France, particulièrement prégnante dans les Alpes-Maritimes avec sa frontière avec l’Italie, qui a fait se soulever la fibre humaniste de ce collègue.
Par ailleurs, les agents des services de l’État sont de plus en plus soumis à des tensions d’origine psychologique, liées à la baisse des effectifs et des moyens. Dans les préfectures, un tiers des effectifs a disparu depuis 2007 ; dans certaines directions départementales interministérielles (DDI), c’est la moitié.
Pourtant les réglementations sont toujours présentes et il faut les mettre en œuvre, la charge de travail est toujours là, mécaniquement en hausse. Mais la manière dont cette dernière doit être produite est absurde. Les réformes se succèdent de manière effrénée et toutes comportent un chapitre consacré à l’« abandon de missions ». Les agents le vivent très mal et cela les enferme dans une tristesse constante. Certains expriment de la colère et ce collègue a sans doute été sujet à cette colère.
En outre, ne doutons pas que ce mal se traduit sous d’autres formes plus préoccupantes. Si la police nationale a droit à une maladroite communication du ministère de l’intérieur sur le suicide parmi ces agents, aucune statistique n’existe pour montrer la situation de la fonction publique dans son ensemble. Le suicide au travail ne touche d’ailleurs pas que les fonctionnaires. Aujourd’hui, le travail désocialise et déshumanise. A cet égard, la montée en puissance des formes de travail isolées comme le travail nomade et le télétravail, ainsi que les métiers payées à la tâche (ubérisation) traduisent cette désocialisation.
Pour conclure, cette affaire d’internement d’office d’un fonctionnaire est à analyser avec le fait qu’en France, le nombre de personnes internées d’office en psychiatrie a sensiblement augmenté ces dernières années. La tendance à être soigné contre son gré augmente donc, et la mainmise des autorités publiques en la matière s’accroît. Il faut dire que la loi de juillet 2011 a introduit la possibilité de l’ « admission en soins psychiatriques en cas de péril imminent » ! Avec ce genre de considération, on voit que ce texte a largement ouvert la porte à l’arbitraire en matière d’internement d’office. Comme la loi de sécurité intérieure d’octobre 2017 qui, en transférant à l’autorité administrative (préfets, ministère de l’intérieur) des prérogatives réservées jusque là à des magistrats (perquisitions, contrôles d’identité…), a largement entaché la notion d’État de droit. Décidément, il y a quelque chose de pourri au royaume de France.
Tract CGT Intérieur internement d’office